mardi 18 mars 2014

This is broken : compter les utilisateurs.

Il y a quelques mois, la presse et le grand public découvraient avec étonnement les valorisations évoquées pour Snapchat (on parlait d'offres de $3mds de la part de facebook et $4mds de Google). En particulier les journalistes et quelques analystes étaient très émus du "refus" de Snapchat de communiquer leur nombre d'utilisateurs actifs.

Cet émoi m'a tout de suite rappelé l'élégance, la sobriété presque, avec laquelle Rolls Royce a longtemps refusé de communiquer sur la puissance des moteurs qui propulsaient ses voitures. La réponse standard était "la puissance est suffisante".
Le message sous-jacent était : "si c'est ça ton souci, Rolls-Royce n'est sans doute pas ce que tu cherches". Ou plus crûment, "hors-sujet"

400 millions de photos par jour

Car dans notre économie connectée, Snapchat a bel et bien communiqué le chiffre qui comptait : 400 millions de photos échangées par jour. Facebook et Google le savent depuis longtemps, ce sont les connexions et les échanges qui comptent! Seth Godin, biens entendu, le dit mieux que moi.

Sur Gmail par exemple, les publicités qui me sont présentées ne dépendent pas de qui je suis, mais de qui je suis et à qui je parle et de quoi je parle. C'est l'ensemble de la transaction (origine, destination, contenu) qui a de la valeur pour mon interlocuteur et moi, et donc pour l'annonceur et pour Google.

Certes, les modèles de revenus envisageables pour Snapchat incluent la vente d'objets virtuels (stickers, smileys, etc), plus fortement corrélée au nombre d'utilisateurs actifs qu'au nombre de transactions. Mais d'une part, c'est la multiplication des transactions qui incite les gens à les améliorer avec des objets premium, et dans tous les cas c'est une erreur de mesurer une entreprise exclusivement sur ce type de grandeurs. Metcalfe nous disait de manière empirique que l’utilité d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs. C'est une loi pratique pour les réseaux indépendants interconnectés et pour lesquels on ne peut qu'estimer l'activité réelle. Et surtout, elle ne parle que du nombre d'échanges possibles, ne prenant pas en compte leur nature, leur "qualité".

Mais pour des compagnies data-driven comme Snapchat ou Gmail, cette estimation grossière ne sert à rien, puisqu'ils ont accès aux données et connaissent très bien le volume, la fréquence, la nature des transactions (ainsi que des patterns d'utilisation)


Data is eating the world

Les métriques clés à surveiller aujourd'hui ne sont plus seulement celles qui ont attrait aux coûts de structure ou au modèle de revenu de l'entreprise, mais aussi et surtout celles qui concernent la finalité du service, et l'usage réel. Et ça ne concerne pas que les services en ligne : les quotidiens gratuits comme 20 minutes parviennent à vendre leurs pages de pub très cher car ils ont su montrer que chaque journal passe entre beaucoup plus de mains que la presse quotidienne classique (20 minutes: 4,3 millions de lecteurs quotidiens pour 960.000 exemplaires).

Ce qui me fait enrager ici (et la raison pour laquelle cet article entre dans la catégorie "this is broken") c'est que ce réflexe d'utiliser les mesures du passé (du statu quo) est un énorme frein à l'innovation. Explicitement ou inconsciemment, l'innovateur est incité à expliquer trop tôt comment son idée va générer de l'argent, et combien. Or les phases initiales d'un projet sont critiques, et si les grandeurs mesurées ne servent pas exclusivement à accélérer la croissance de l'utilité, le projet se retrouvera rapidement ralenti, voir embourbé. Une sous-performance qui pourra coûter très cher.

Investisseurs, entrepreneurs, si un projet a un réel potentiel disruptif, oubliez le vocabulaire et les indicateurs traditionnels. Empressez-vous seulement de le faire émerger!

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