samedi 4 juin 2016

Un espoir pour le monde

Ces derniers siècles, notre humanité a exploré deux grandes pistes pour réussir à vivre ensemble : la droite et la gauche.

La première dit : si je m’occupe bien de mon prochain, de mon entourage proche, les 150 personnes de Dunbar, et que tout le monde fait pareil, de proche en proche, on devrait avoir la paix sociale. La limite est assez évidente : ces 150 sont de ma religion, ma couleur de peau, ma région, mon niveau social … si bien qu’il est difficile en fait de faire coexister tout ce monde.

La seconde dit : non, il faut arriver à se regrouper à l’échelle de la nation, 10 millions, 60 millions de personnes, et arriver, pour vivre ensemble, à se coordonner pour faire émerger une direction commune. La limite, cette fois, est qu’il est bien difficile d’empathiser avec 60 millions de personnes, et donc d’accepter de transiger pour elle, pour ce fameux “bien commun”.



Quoi de pire : trouver des idiots dans votre camp ou des gens bien de l’autre côté ?
En fait, il semble que ce seuil de 150 personnes soit lié à la taille de notre Néocortex, donc une limite physique de notre cerveau.

“Mais moi, j’ai 2 000 amis sur Facebook” me direz-vous. Oui, mais si je vous demandais de les lister, de tête, combien en resterait-il ? Et de fait, vous serez surement d’accord avec moi pour dire que ces 2 000 ne sont pas tous vraiment vos amis. Il y a des relations, des connaissances, même parfois des quasi-inconnus. Alors, comment qualifier ces 1 850 ? Si “ami” est abusif, comment les appeler ? L’expression “Ami Facebook”, “Ami au sens Facebook du terme”, semble se populariser. En tout cas, ce ne sont pas des inconnus complets. Vous pouvez voir un bout de leur vie, qui sont leurs proches, où ils vivent, plus ou moins plein d’autres choses. Si vous deviez choisir entre prêter 100€ à un tel “ami Facebook”, ou à un étranger complet, le premier aurait sans doute vos faveurs, il est plus facile à retrouver.
Vous voyez ce que je veux dire ?
Si l’on classe toutes ces personnes en fonction de votre niveau de connivence, on obtient une courbe décroissante, un dégradé progressif de confiance. C’est un phénomène bien connu du monde numérique, la Longue Traine (“long tail” en anglais). De façon similaire, Amazon a en référence 150 best-sellers vendus à des millions d’exemplaires, puis des millions de livres vendus à 150 exemplaires, lesquels n’auraient pour la plupart, jamais eu la chance d’exister avant l’ère numérique. Et les quelques-uns qui auraient été imprimés, seraient considérés comme des bides, des échecs, des erreurs.

Nous développons donc tous une “longue traine” d’amis, une population de plusieurs milliers de personnes que l’on connait à des degrés divers mais jamais intense. On les appelle parfois nos “liens faibles”, ou notre second cercle.
Illustration : Mai Lan
Par leur quantité et leur variété, ces liens faibles jouent un rôle crucial dans notre expérience en ligne. Par exemple :

  • un crowdfunding est un dispositif voué à collecter de l’argent auprès de ces liens faibles.
  • c’est en analysant ces liens faibles que les algorithmes arrivent à discerner notre profil et mieux nous cibler
  • ils sont à l’origine de ce phénomène appelé “sérendipité”, nom compliqué pour parler d’un heureux hasard (je retrouve mon copain de primaire 30 ans plus tard chez un client), qui en fait n’est plus tellement un hasard mais un effet statistique.

Mais alors puisque je n’ai pas, au quotidien, conscience de ces liens faibles, comment pourraient-ils influencer ma vie, mon comportement ? Imaginez-vous en train d’écrire un statut sur votre réseau social préféré. Au détour d’une analogie, vous commencez une blague d’un goût douteux sur, disons, les asiatiques. A ce moment précis, par le plus grand des hasards, vous vient à l’esprit le visage de votre ami chinois, cet ancien collègue qui vous avait accepté à l’époque .. Vous l’imaginez en train de lire ça, la tête qu’il va faire, sa réaction … et hum, vous vous dites que finalement elle n’est pas si spirituelle que ça, cette blague, et vous l’effacez. Et voilà, comment un lien faible peut remonter dans votre conscience et influencer votre comportement. Sans même qu’il le sache lui-même. Il est par ailleurs fort probable qu’il ne le lira jamais, votre statut, mais peut-être que si, vous ne savez pas, et vous ne pouvez pas savoir, et d’ailleurs, les écrits restent, il pourrait tomber dessus un jour futur, dans 1 an, qui sait :-) ?
Mieux vaut être chinois pour se moquer des chinois... et marrant de préférence !
On voit là une nouvelle forme d’expression émerger. Qui n’est pas de la correspondance privée comme la lettre papier on son équivalent électronique, le courriel, mais pas non plus de l’expression totalement publique. Une nouvelle forme dont notre cadre juridique actuel n’avait, pas prévu l’existence, comment l’aurait-il pu ? J’espère que nous saurons adapter la loi à la réalité promptement, plutôt que nous entêter à faire entrer au forceps ces nouvelles pratiques dans un cadre devenu désuet.
Ainsi il y aurait une sorte de processus cognitif qui saurait déjouer la limitation physique de notre pensée consciente, notre néocortex, pour nous permettre d’intégrer dans notre attitude au quotidien les 2000, les 3000 liens faibles. Et la grande différence c’est que dans les 3000, vous avez tout : toutes les confessions, toutes les ethnies, toutes les conditions humaines. Ce qui fait une grosse différence. Le regard cumulé, même si inconscient, de tous nos liens faibles, affecte notre expression, nos attitudes, notre comportement. Nous pouvons empathiser avec eux car nous imaginons leurs visages. Et ils nous offrent, ensemble, une appréhension plus fidèle de la société, l’écosystème qui nous entoure.

L’ère industrielle s’est appuyée pour se construire sur la seule pensée consciente, à l’origine de la construction rationnelle de notre société et de l’organisation scientifique du travail. Je crois que nous en avons atteint les limites, et que nous devons, pour aller plus loin, remettre à contribution d’autres zones de nos cerveaux, dont la capacité cognitive est tout à fait remarquable*. Et justement, les technologies numériques nous le permettent en nous apportant les moyens techniques pour entretenir notre relation avec nos liens faibles.

Je ne sais pas si l’homme est né bon, ou neutre, ou pas bon, mais j’ai la conviction que l’homme est un animal social, qui a besoin de se sentir en connexion avec ses pairs. Et qu’en accroissant la portée de nos connexions, au travers de plus de transparence et de permanence, le comportement de chacun va s’améliorer, au sens tendre vers une meilleure harmonie avec les autres.

Voilà d’où me vient mon optimisme pour le monde, qui me fait refuser d’accepter l’argument “qu’il y a toujours eu des guerres, donc il y en aura toujours”, qui me fait penser que maintenant, nous avons devant nous une opportunité qui n’a jamais existé avant. Non sans efforts et acceptations de nouvelles façon de vivre, j’en suis conscient !

*Lire à ce sujet l’excellent “Blink” de Malcom Gladwell qui regorge d’histoires à peine croyables sur les capacités non conscientes de notre cerveau.
photo : Loïc Swiny
Pour aller plus loin, je vous propose d’explorer 3 autres pistes :
Mais si vous voulez changer de sujet, allez donc voir la liste complète des questions ouvertes sur Curious.so !