lundi 29 décembre 2014

"Reinventing Organizations", le livre de l'année 2014

Cher Frédéric,

Mille mercis. Mille mercis pour ce travail magnifique qui vient à point nommé répondre aux quelques questions que nous nous posions encore. Et qui vient aussi, peut-être même surtout, nous conforter dans les choix de vie que nous avons fait, en nous relatant la satisfaction de ceux qui ont déjà pris cette route, et qui y ont trouvé l'épanouissement auquel nous aspirons.

J'ai pris quelques notes au regard de notre propre expérience à Officience, dont j'aimerais te faire part en retour.

To CEO or not to CEO ?


Tout d'abord, comme tu l'évoques plusieurs fois, il reste un rôle central dans toutes ces organisations, que le titre de "CEO" reflète assez mal. Ce n'est pas le chef de l'exécution, et pourtant tous les regards sont tournés vers lui. Il y en a toujours un, et un seul. Son renouvellement met en danger la pérennité de l'organisation en mode Evolutionnaire. Même  Linux et Wikipedia sont dotés d'une personnalité emblématique les représentant. La question est donc : le job de CEO est-il soluble dans les organisations Evolutionnaires ?

Une fois qu'il a cédé son pouvoir à la "Constitution", que ce soit sous cette forme, ou dans des fiches, ou un manuel, je tiens que le rôle essentiel de cette personne est de garder tous les yeux braqués dans la même direction, d'être le porte-drapeau de la Raison d'être, la Cause. Et ceci est utile car de manière très pragmatique, il est beaucoup plus simple au quotidien de suivre quelqu'un qui symbolise ces idées, que de suivre les idées directement.
C'est clairement un rôle important, crucial même, mais je ne vois pas de raison de principe pour qu'il n'y a pas plusieurs porte-drapeau, tant que tous soutiennent la même cause.
Il y a donc un rôle de Gardien des Causes, qui peut être partagé parmi plusieurs personnes. Mais ce rôle, pas plus qu'un autre n'a de raison d'être un titre. Je ne pense pas qu'il faille chercher un nouveau titre pour remplacer le terme "CEO", de même qu'aucun autre titre (CFO, CMO, COO ...) n'a d'équivalent.
Mon pari est donc que oui, malgré le fait que les observations actuelles me contredisent, je pense que le rôle de CEO est soluble et que nous parviendront au sein de la Tribu Officence, à nous doter de plusieurs "Gardien des Causes".
Ceci dit, pour répondre au besoin des Etats, des médias, et autres institutions, il reste souvent nécessaire de pouvoir donner un seul nom pour représenter l'organisation toute entière, et si il est parfois possible de jongler un peu, il faut quand même savoir faire preuve d'ouverture d'esprit en acceptant d'entrer dans les cases toutes faites que la civilisation Orange a modelée dans la culture commune.

Tribus sans frontières

Tout au long de la lecture de ton livre, j'avoue avoir été quelque peu dérangé par l'absence de remise en question des organisations, de la forme d'entreprise telle qu'on la connait. L'anthropomorphisme consistant à imaginer une conscience à l'organisation me gêne. En effet, pourquoi penser encore en organisation ? Ce n'est que dans le tout dernier chapitre, qu'enfin, à mon grand ravissement, tu explores comme la fin des organisations fermées comme un futur possible.
Pour ma part, je ne vois pas cela comme un hypothétique futur, je le vois déjà mis en oeuvre aujourd'hui au sein de Linux, Ouishare, ou MakeSense et nous nous efforçons aussi de notre côté à le mettre en pratique. Je vois le monde des idées, des causes, comme autant de "totems" autour desquels nous, être humains, nous prenons position avec plus ou moins d'affinité, de proximité. Il y a bien un point focal, mais il n'y a pas de limite, pas de barrière. Juste des gens plus ou moins proche du foyer, là où se trouvent les Gardiens de la Cause qui essaient, comme ils peuvent, de rallier les gens à leur Cause pour constituer, tout autour (du totem, donc d'eux), la plus grande Tribu possible. Les Tribus n'ont pas de frontières, et nous appartenons tous à plusieurs d'entre elles, avec plus ou moins d'engagement dans chacune.

Dans la Tribu, il y a des gens qui ont ouvert des comptes en banque, comme une grosse caisse commune, un trésor de guerre qui permet de financer des actions visant à promouvoir la Cause. Parmi ces actions, on paye des gens à plein temps, d'autres à temps partiel, d'autres à l'heure, parfois à l'acte, de manière opportuniste, selon leurs besoins et les décisions de chacun. Deux entreprises qui partagent la même Raison d'Etre ne sont en effet pas concurrentes : ce sont simplement deux "pots communs" qui se sont crées dans la même Tribu.
Par contre chaque être humain n'a que 24 heures dans sa journée, et son défi quotidien consiste à décider des Causes auxquelles les allouer. C'est là que se trouve toujours de la rareté et donc une compétition : un concurrent, c'est une Tribu qui essaie de capter les gens vers une autre cause.

Biomimétisme, effectuation et overglorified leadership

J'aime et j'utilise beaucoup, comme toi dans ton livre, l'allégorie du Vivant pour évoquer notre organisation : mécanismes d'autorégulation homéostatiques, lois d'équilibre naturel... mais j'avoue qu'au fond de moi-même une petite voix résonne et objecte : la nature est cruelle, sommes-nous vraiment prêts à jouer ses règles jusqu'au bout ? La sélection naturelle c'est aussi la loi du plus fort, c'est aussi accepter une certaine fatalité dont je me demande si, collectivement, nous sommes prêts à faire face.

Le chapitre sur la stratégie m'a fait penser à la théorie de l'Effectuation de Saras Sarasvathy, qui se prête bien à des organisations ouvertes.

Un passage sur le leadership m'a fait penser à Derek Sivers qui, dans un de mes TED talks favoris, explique que "The true leader is the first follower"

Toujours plus de questions...

J'ai enfin deux questions sur lesquelles j'aimerais avoir ta réponse, mais le temps étant, comme j'écrivais plus haut, une ressource précieuse, je t'invite à n'y répondre que lorsque tu jugeras que l'effort en vaut la chandelle. C'est pourquoi je vais les poster sur la plate-forme Curious, en espérant rencontrer au fil du temps de nombreuses personnes intéressées également par ces questions et qui se joindront à moi pour diffuser ta réponse. Pour l'heure, ta réponse ne profiterait qu'à moi et cela serait, je trouve, bien dommage.
  1. La première question que je me pose est : puisque ces nouvelles organisations semblent restaurer un équilibre de considération entre les principes masculins et féminins, pourquoi les dirigeants de toutes les organisations étudiées dans ton livre sont des hommes ?
  2. La deuxième question porte également sur ton étude : il semble que toutes les entreprises que tu cites dans ton livre sont des succès, au sens où elles parviennent à opérer de manière pérenne et dans l'épanouissement de leurs acteurs. N'as-tu pas rencontré dans tes recherches des entreprises qui auraient essayé d'adopter des principes de fonctionnement Evolutionnaires et qui auraient échoué ?
Encore une fois, c'était pour moi une chance incroyable d'avoir pu te rencontrer, le timing est parfait, je le prends comme un signe du Destin !

Merci encore,
Duc