samedi 17 janvier 2015

(ré-)Apprendre à vivre ensemble

Quand je vivais au Vietnam, le SDF qui dormait dans ma rue n'avait aucune rancoeur, aucune jalousie à notre égard. On se parlait souvent, et le jour où on a oublié notre clef sur la porte, dans la rue, il l'a prise pour la garder et a attendu dehors que l'on revienne pour nous la rendre. A Paris, je ne dis pas bonjour au Roms qui dorment devant ma porte. J'évite leur regard et je n'ose même pas imaginer la possibilité de leur confier les clefs de mon domicile. J'ai un peu honte, mais je gère ma conscience, je me dis qu'on a des gens pour s'occuper d'eux.

La société que nous avons construite est conçue pour que nous vivions côte à côte, et non pas ensemble. L'Etat, les institutions, les entreprises, se chargent de réguler tout cela, strate par strate, faisant ce qu'ils peuvent pour nous éviter le contact avec notre prochain. On accumule les lois et les politiques pour s'occuper des aveugles, des pauvres, des femmes, de la nature... pensant bien faire mais au passage, nous affranchissant de plus en plus de notre devoir de citoyen et du besoin de s'aider directement, de pair à pair.
Bref il faut recréer des ponts, nous reconnecter les uns aux autres. Parler à des inconnus doit redevenir possible.

Le plus urgent bien sur est de reconnecter les plus marginaux avec nous. Les candidats pour la case prison, les enfants sans parents, sans domicile... ceux qui sont en quête de sens, qui n'ont pas les moyens d'aller faire le tour du monde à sa recherche, ceux à qui manque une figure qui les inspire et qui, trop souvent malheureusement, tombent sur des maîtres à penser qui leur inculquent la haine de son prochain...

Selon la philosophie des gentils Barbares, il faudrait créer des connections, et au travers de celles-ci, apporter du Sens à ceux qui en demandent. Malheureusement le fossé qui s'est creusé est tel qu'une confrontation directe risque de mener à plus d'incompréhension et de conflit qu'autre chose.
De plus face à l'ampleur du défi, nous avons besoin de trouver une approche "scalable", capable de rendement d'échelle croissants, de sorte que nous puissions rapidement atteindre une dimension impactante. Dieu merci il n'existe pas de fichier exhaustif et nominatif, le monde n'est pas blanc ni noir. Mais nous pouvons utiliser la puissance du numérique pour permettre à l'offre d'atteindre sa demande, grâce à la fluidité de circulation de l'information.

Mettons donc en relation nos deux multitudes : la multitude des jeunes perdus et la multitude des barbares bienveillants. Chacun d'entre nous produit un message, porteur d'espoir, positif, constructif, qu'il met en ligne sur Internet. A chacun son style, son format (texte, dessin, audio, vidéo...), son message. Des courts et des longs, des durs et des mous, des conformistes et des rebelles... Comme des milliers de petites gouttelettes de Sens. Puis on demande à un algorithme de faire apparaitre ces messages aux personnes qui en ont le plus besoin, en fonction de leur profil et de leur préférences. La charge est à Google et Facebook de trouver avec qui tel ou tel contenu entre en résonance. Tant qu'ils n'ont pas trouvé, pas de clic, on ne les paye pas ! Et même, ils seront peut-être ouverts à nous donner un peu de crédit pour les premières semaines...

Proposition pour 31 mars : un petit coin-atelier où chaque barbare pourra venir produire quelques petites gouttes, sa petite vidéo, son, petit couplet.

Photo Martin Argyroglo

samedi 10 janvier 2015

Dimanche, nous irons au Louvre.

La liberté d'expression a pris un coup. Certaines personnes intimidées, vont laisser la peur modifier leur comportement.
La communauté musulmane est meurtrie. Les déclarations publiques #notinmyname n'y changeront pas grand chose, malheureusement.
Je compatis bien sur, je suis prêt à aider mon entourage à ne pas s'autocensurer et à assumer pleinement ses croyances. J'attendrai cependant de recevoir des demandes car je n'ai pas de légitimité à dire à mon prochain "tu as un problème et je vais t'aider à le régler". On n'aide pas autrui contre son gré.

Et puis pardon mais j'ai un problème qui me préoccupe, dont je me sens légitimement responsable. Qui n'est ni la liberté d'expression ni la liberté de culte. Je ne sais s'il est "plus grave" ou "moins grave", mais c'est mon problème alors je me dois de m'en occuper le premier, avant de demander de l'aide à mon tour : j'ai des enfants, je voudrais leur laisser un monde paisible.

La moitié de ce problème est leur éducation. Je vais faire de mon mieux, et comme je ne suis pas Raphaël Thobie pour en parler, je vous invite à lire ses mots directement.
L'autre moitié de l'équation, c'est le système, les règles du jeu, la société. Ces derniers siècles Ford, Taylor et leurs amis avaient, ma foi, élaboré une recette permettant un environnement localement plutôt stable et prospère dans certaines zones du globe.

Savoir si cette relative stabilité nécessitait des "sacrifiés" dans d'autres zones du globe ou pas est un grand débat, mais le fait est que depuis longtemps coexistent des zones chaudes, de conflit, ou de misère, et que la relative difficulté de circulation des hommes, des biens et des informations permettait de maintenir les zones stables à l'abri de ces conflits. Il n'aura échappé à personne que les parois étanches sont devenues poreuses. Cette perméabilité croissante du monde n'est pas le pur résultat d'une action politique mais la direction dans laquelle va l'humanité, qui s'est accéléré avec la révolution numérique, comme l'avènement de l'imprimerie a accéléré la diffusion des idées réformistes.

Mais cela ne suffisait pas ; le maintien de cette stabilité locale nécessite également une gouvernance capable de gérer les personnes les plus inadaptées au système. Avec l'éducation commencer par en créer le moins possible bien sur, avec la couverture sociale prendre soin des plus malheureux, avec la force parfois mettre à l'écart les plus dangereux, etc. Et là, malheureusement, notre modèle est en échec également. Avec l'accroissement des inégalités, le gouvernement en quasi-faillite financière et politique, notre système de cohésion sociale devient précaire. On aura toujours des fous. On reconnait une civilisation en bonne santé à sa capacité à s'en occuper.

Parler du drapeau que ces déséquilibrés ont choisi de porter pour commettre leur attentat n'emmènera pas nos enfants dans la bonne direction. Ce n'est qu'une fraction du symptôme de leur folie. Parlons de comment nos systèmes sociaux n'ont pas pu / su inculquer à eux et à tous les autres assassins en devenir, les bases d'un code moral qui nous permettrait à tous d'aller en paix dans la rue faire nos courses.

Alors dimanche, nous n'irons pas à République rejoindre des politiques hors-sol, en voie d'obsolescence. Nous ne voulons pas entendre parler d'islam ou de liberté d'expression. Nous irons au Louvre. Plus précisément, nous irons voir le Maréchal de Coligny, dont la statue se dresse au dos de l'église réformée de l'Oratoire du Louvre. Nous parlerons avec nos enfants de la Saint Barthélémy, cette nuit du 24 au 25 août 1572, et nous leur apprendrons ainsi qu'il est possible de tuer, et de mourir, pour des idées. Cela sera bien assez.

Et après, je retournerai voir Antoine et ses gentils Barbares, et on reprendra le combat contre la banalisation du renoncement, dans l'espoir, au travers des années chaotiques qui s'annoncent, de construire une société paisible pour nos enfants, avec le moins de douleur possible au cours de la transition.

Source Wikipedia CC BY SA 4.0

mardi 6 janvier 2015

Et si l'éléphant Greudf pouvait danser ?


Chère Sandra Lagumina,

J'ai envie de dire : Wow.
Bravo pour ces 20 minutes de vidéo DigitAll : du Human2Human (#H2H), de la transparence, "conversation is king", du management latéral, du reverse mentoring, de la quête de sens, la fusion des vies pro et perso, des flux non marchands... et tout ça à cause du numérique ! C'est dense et délicieux !
J'avoue que sans vous connaître, votre parcours [Science Po - ENA - cabinet de ministre - siège du CAC40 dans le juridique], ne me donnait pas de prime abord l'impression que l'armée GrDF [45 000 employés] s'était doté l'année dernière d'une tête tournée vers le monde qui vient. Mea culpa. Vous connaissez @BTilloy ? Si ce n'est pas encore, le cas, vous devriez déjeuner ensemble !

Mais ce qui m'impressionne le plus dans toute cette démarche DigitAll à GrDF, c'est surtout de vous voir proactivement abolir la frontière entre communication interne et communication externe. Peu de patron(ne)s ont déjà pris conscience que, le monde devenant transparent, l'information devenant liquide, ce rapprochement devenait inéluctable. Encore moins ont déjà pris acte et agissent en conséquence. La tentation est grande de succomber au court terme, la facilité de continuer l'existant, laissant le travail de fusionner les équipes à son successeur, quand cela sera devenu inévitable voire critique.
Car pavés de bonnes intentions, les systèmes paritaires excellent à maintenir le status quo : les obligations de consultation préalable sont devenus les instruments de sanctuarisation de l'information au détriment de l'ouverture et du dialogue direct avec les parties prenantes. Comme pour les élus politiques, nous allons vers une époque où la multitude a de moins en moins besoin de mandater des personnes physiques pour la représenter. Lesquels, par instinct de survie probablement, se retrouvent donc à défendre des modèles bientôt désuets.

Pour aller plus loin, je me permets de soumettre une proposition : inverser la chaîne d'approbation de votre équipe de communication. C'est à dire que toute production, par défaut, est publique, et le confidentiel devient l'exception : pour réaliser une production à diffusion restreinte, alors il faut tout un tas d'approbations jusqu'au plus haut niveau en justifiant pourquoi cela ne peut pas être partagé... Chiche ?

Passer d'une logique de "tout est interdit sauf si c'est autorisé" à celle où "tout est permis sauf si c'est interdit" est une transformation culturelle qui, d'une part, ne concerne pas seulement l'expression des employés sur les réseaux sociaux (ils n'auront finalement servi qu'à exacerber le problème jusqu'à le rendre inévitable), et d'autre part ne peut avoir lieu sans une implication exemplaire des plus hauts niveaux de management.

Tous mes voeux Greudfiens !
Duc