lundi 31 octobre 2016

Le phénomène Julien Letailleur

Qui est Julien ? Quel est son agenda ? En quoi cela me concerne ? Est-ce que ça sert à quelquechose ?
Julien est le héros du roman “Un peuple totalitaire”, roman en cours d’écriture mais dont on peut déjà lire les 8 premiers chapitres en ligne. Pour la faire courte, Julien est un conseiller du Président de la République qui utilise les dernières technologies numériques pour déployer une nouvelle forme de démocratie (plus directe, plus liquide…). Et il faut en affronter les conséquences…
Pendant ce temps, dans notre monde à nous, émergent des mouvements tels que #MaVoix, Laprimaire.org et autres expériences démocratiques. La réalité va-t-elle dépasser la fiction ? En tout cas, l’occasion est trop belle : Julien décide de venir dans le monde réel, à l’image de Tom le héros de “La rose pourpre du Caire” qui s’échappe de son film. De ce moment, Julien n’est plus la marionette de son créateur original, Antoine Brachet, mais il prend son indépendance pour devenir l’instrument de la Multitude citoyenne. Et il décide de se présenter à l’élection présidentielle de 2017 afin de porter la voix de cette Multitude.



Son point fort ? Il n’a pas d’ego, il n’existe pas. Il pourrait même être une femme et s’appeler Julia. Du coup bien sûr, il aurait du mal à gouverner, mais là n’est pas le point. L’objectif du phénomène Julien est justement de profiter de son inexistence pour tordre le coup à ce mythe de l’homme providentiel. Et du coup, inviter un maximum de personnes à endosser sa casquette de citoyen de façon plus récurrente, plus continue que 5 ou 10 minutes dans un isoloir tous les 5 ans. Et pour cela, 3 paris, 2 opérations, 1 objectif.

Les 3 paris : la loi du ROI

— Responsabilité : nous sommes tous responsables autant que libres, n’avons pas besoin de tutelle, ni de sauveur.
Optimisme : Notre posture par rapport au futur est un choix délibéré. Nous avons la volonté de bouger les choses sans béatitude.
— Intelligence : Tout le monde peut s’emparer et se positionner sur tout sujet.

Les 2 opérations : “Je crie donc j’existe” et “un kawaa avec Julien”

Je crie donc j’existe nous invite à proposer des messages (optimistes, intelligents et responsables, bien entendu) sur une page Facebook. On peut aussi se contenter de lire ceux des autres et voter ce qui nous plaisent le plus. Mais si on souhaite aller plus loin on peut aussi se munir d’une casserolle, d’une spatule, d’un ami, et d’un smartphone, pour aller crier ses messages préférés et les poster en ligne. Tout est expliqué ici :https://www.facebook.com/jecrie



Un kawaa sans Julien (je viens d’inventer le nom) est une série de meetups visant à réunir les citoyens que nous sommes afin de voir émerger les sujets dont nous souhaitons véritablement entendre parler durant cette campagne présidentielle. Savamment conçu et animée par des pros de l’intelligence collective, le premier rendez-vous, le 3 novembre, sera l’occasion de tester le format, sur le thème : “l’Etat Agile”. Voici les liens liés à l’événment, qui aura lieu au NUMA le 3 novembre prochain :
Cette soirée ensemble aura pour objectif non seulement de faire émerger des questions (Intelligentes, Optimistes et Responsables !) mais aussi d’accélérer la “dilution” de Julien Letailleur parmi la multitude que nous formons, car nous sommes tous Julien et Julia, et il est donc important que d’autres qu’Antoine prennent la permission de “porter le porte-voix”, et pas seulement en province mais aussi sur les big média et les médias sociaux.
Si vous souhaitez influencer le choix des prochains thèmes, le sondage est ici, mais ne vous contentez pas de voter, invitez vos amis à faire de même pour avoir plus de poids dans le sondage ! Education, Futur du Travail, Identité humaine ont déjà pas mal de votes.



1 objectif :

Nourri par l’abondance et le fourmillement chaotique des idées criées dans la rue, où nous nous ré-emparons, nous citoyens, de la parole publique, puis impliqués dans ces moments de co-création plus intenses, Julien/Julia Letailleur espère être un outil permettant à la Multitude que nous sommes de porter sur le débat public les sujets qui nous sont les plus chers, nourissant ainsi à la fois un engagement citoyen et une réflexion politique, et polarisant le débat public autour de la campagne présidentielle.
Voilà, vous savez tout, il n’y a plus qu’à vous inscrire pour la soirée du 3 novembre, j’ai hâte de co-créer avec vous !

samedi 4 juin 2016

Un espoir pour le monde

Ces derniers siècles, notre humanité a exploré deux grandes pistes pour réussir à vivre ensemble : la droite et la gauche.

La première dit : si je m’occupe bien de mon prochain, de mon entourage proche, les 150 personnes de Dunbar, et que tout le monde fait pareil, de proche en proche, on devrait avoir la paix sociale. La limite est assez évidente : ces 150 sont de ma religion, ma couleur de peau, ma région, mon niveau social … si bien qu’il est difficile en fait de faire coexister tout ce monde.

La seconde dit : non, il faut arriver à se regrouper à l’échelle de la nation, 10 millions, 60 millions de personnes, et arriver, pour vivre ensemble, à se coordonner pour faire émerger une direction commune. La limite, cette fois, est qu’il est bien difficile d’empathiser avec 60 millions de personnes, et donc d’accepter de transiger pour elle, pour ce fameux “bien commun”.



Quoi de pire : trouver des idiots dans votre camp ou des gens bien de l’autre côté ?
En fait, il semble que ce seuil de 150 personnes soit lié à la taille de notre Néocortex, donc une limite physique de notre cerveau.

“Mais moi, j’ai 2 000 amis sur Facebook” me direz-vous. Oui, mais si je vous demandais de les lister, de tête, combien en resterait-il ? Et de fait, vous serez surement d’accord avec moi pour dire que ces 2 000 ne sont pas tous vraiment vos amis. Il y a des relations, des connaissances, même parfois des quasi-inconnus. Alors, comment qualifier ces 1 850 ? Si “ami” est abusif, comment les appeler ? L’expression “Ami Facebook”, “Ami au sens Facebook du terme”, semble se populariser. En tout cas, ce ne sont pas des inconnus complets. Vous pouvez voir un bout de leur vie, qui sont leurs proches, où ils vivent, plus ou moins plein d’autres choses. Si vous deviez choisir entre prêter 100€ à un tel “ami Facebook”, ou à un étranger complet, le premier aurait sans doute vos faveurs, il est plus facile à retrouver.
Vous voyez ce que je veux dire ?
Si l’on classe toutes ces personnes en fonction de votre niveau de connivence, on obtient une courbe décroissante, un dégradé progressif de confiance. C’est un phénomène bien connu du monde numérique, la Longue Traine (“long tail” en anglais). De façon similaire, Amazon a en référence 150 best-sellers vendus à des millions d’exemplaires, puis des millions de livres vendus à 150 exemplaires, lesquels n’auraient pour la plupart, jamais eu la chance d’exister avant l’ère numérique. Et les quelques-uns qui auraient été imprimés, seraient considérés comme des bides, des échecs, des erreurs.

Nous développons donc tous une “longue traine” d’amis, une population de plusieurs milliers de personnes que l’on connait à des degrés divers mais jamais intense. On les appelle parfois nos “liens faibles”, ou notre second cercle.
Illustration : Mai Lan
Par leur quantité et leur variété, ces liens faibles jouent un rôle crucial dans notre expérience en ligne. Par exemple :

  • un crowdfunding est un dispositif voué à collecter de l’argent auprès de ces liens faibles.
  • c’est en analysant ces liens faibles que les algorithmes arrivent à discerner notre profil et mieux nous cibler
  • ils sont à l’origine de ce phénomène appelé “sérendipité”, nom compliqué pour parler d’un heureux hasard (je retrouve mon copain de primaire 30 ans plus tard chez un client), qui en fait n’est plus tellement un hasard mais un effet statistique.

Mais alors puisque je n’ai pas, au quotidien, conscience de ces liens faibles, comment pourraient-ils influencer ma vie, mon comportement ? Imaginez-vous en train d’écrire un statut sur votre réseau social préféré. Au détour d’une analogie, vous commencez une blague d’un goût douteux sur, disons, les asiatiques. A ce moment précis, par le plus grand des hasards, vous vient à l’esprit le visage de votre ami chinois, cet ancien collègue qui vous avait accepté à l’époque .. Vous l’imaginez en train de lire ça, la tête qu’il va faire, sa réaction … et hum, vous vous dites que finalement elle n’est pas si spirituelle que ça, cette blague, et vous l’effacez. Et voilà, comment un lien faible peut remonter dans votre conscience et influencer votre comportement. Sans même qu’il le sache lui-même. Il est par ailleurs fort probable qu’il ne le lira jamais, votre statut, mais peut-être que si, vous ne savez pas, et vous ne pouvez pas savoir, et d’ailleurs, les écrits restent, il pourrait tomber dessus un jour futur, dans 1 an, qui sait :-) ?
Mieux vaut être chinois pour se moquer des chinois... et marrant de préférence !
On voit là une nouvelle forme d’expression émerger. Qui n’est pas de la correspondance privée comme la lettre papier on son équivalent électronique, le courriel, mais pas non plus de l’expression totalement publique. Une nouvelle forme dont notre cadre juridique actuel n’avait, pas prévu l’existence, comment l’aurait-il pu ? J’espère que nous saurons adapter la loi à la réalité promptement, plutôt que nous entêter à faire entrer au forceps ces nouvelles pratiques dans un cadre devenu désuet.
Ainsi il y aurait une sorte de processus cognitif qui saurait déjouer la limitation physique de notre pensée consciente, notre néocortex, pour nous permettre d’intégrer dans notre attitude au quotidien les 2000, les 3000 liens faibles. Et la grande différence c’est que dans les 3000, vous avez tout : toutes les confessions, toutes les ethnies, toutes les conditions humaines. Ce qui fait une grosse différence. Le regard cumulé, même si inconscient, de tous nos liens faibles, affecte notre expression, nos attitudes, notre comportement. Nous pouvons empathiser avec eux car nous imaginons leurs visages. Et ils nous offrent, ensemble, une appréhension plus fidèle de la société, l’écosystème qui nous entoure.

L’ère industrielle s’est appuyée pour se construire sur la seule pensée consciente, à l’origine de la construction rationnelle de notre société et de l’organisation scientifique du travail. Je crois que nous en avons atteint les limites, et que nous devons, pour aller plus loin, remettre à contribution d’autres zones de nos cerveaux, dont la capacité cognitive est tout à fait remarquable*. Et justement, les technologies numériques nous le permettent en nous apportant les moyens techniques pour entretenir notre relation avec nos liens faibles.

Je ne sais pas si l’homme est né bon, ou neutre, ou pas bon, mais j’ai la conviction que l’homme est un animal social, qui a besoin de se sentir en connexion avec ses pairs. Et qu’en accroissant la portée de nos connexions, au travers de plus de transparence et de permanence, le comportement de chacun va s’améliorer, au sens tendre vers une meilleure harmonie avec les autres.

Voilà d’où me vient mon optimisme pour le monde, qui me fait refuser d’accepter l’argument “qu’il y a toujours eu des guerres, donc il y en aura toujours”, qui me fait penser que maintenant, nous avons devant nous une opportunité qui n’a jamais existé avant. Non sans efforts et acceptations de nouvelles façon de vivre, j’en suis conscient !

*Lire à ce sujet l’excellent “Blink” de Malcom Gladwell qui regorge d’histoires à peine croyables sur les capacités non conscientes de notre cerveau.
photo : Loïc Swiny
Pour aller plus loin, je vous propose d’explorer 3 autres pistes :
Mais si vous voulez changer de sujet, allez donc voir la liste complète des questions ouvertes sur Curious.so !

mercredi 23 mars 2016

Un site web ? Très bien. Mais vous ne voudriez pas plutôt une communauté engagée ?

Chers tous,

A la fin de notre réunion, j'ai beaucoup apprécié le tour de table de feedbacks. Je reste néanmoins dans l'inconfort d'un léger sentiment de culpabilité de n'avoir pas pu/osé vous donner mon propre retour complet, alors j'ai pensé vous le faire présentement, par écrit.

En tant qu'association, que groupe social déjà formé, votre communauté existe déjà. Il semble même que la ou les cause(s) qui la font vivre sont clairement conscientisées voire identifiées. La création d'un outil pour la supporter peut être vue comme visant à la faire vivre dans le monde numérique, (donc de la "créer" sur internet), mais au final il s'agit surtout de la renforcer dans ces autres mondes intangibles que sont les coeurs et les esprits de ses membres. Les critères de succès à rechercher sont donc plus des symptômes de l'engagement (nombre d'interactions, intensité de ces interactions) que dans un périmètre fonctionnel (nombre et complexité des fonctionnalités livrées).

Pour faire réussir un projet de renforcement d'une communauté par le numérique, il est fortement avisé d'avoir soit dans l'équipe, soit dans l'accompagnement de votre équipe des personnes versées dans la gestion des communautés augmentées par le numérique. Une bonne indication serait qu'ils aient un score Klout supérieur à 50 par exemple. Ou quelqu'un qui sache expliquer pourquoi Klout c'est pas bien via sa propre théorie de l'engagement. Je vous invite à identifier cet expert qui va pouvoir vous faire bénéficier de son expérience dans les relations sociales en ligne.

Il est également important d'identifier un "champion" de votre cause, la personne engagée dont on sent qu'elle a un investissement personnel fort dans la cause qui fédère la communauté. S'identifiant tellement à elle qu'elle se sent légitime pour parler en son nom. Le community management ce n'est pas un stagiaire qu'on recrute à postériori pour tweeter du contenu éditorial, c'est plutôt le coeur du réacteur, incarné par le premier militant qui a épuisé toutes les moyens possibles pour exécuter sa mission à la main, et qui rêve d'un outil pour pouvoir intensifier l'impact de son action.

Il ne faut pas forcément beaucoup de moyens pour démarrer un mouvement...

A défaut d'avoir ce "premier influenceur" (mais franchement il semble difficile de faire sans : quelle secte n'a pas de gourou ? Quelle organisation n'a pas de leader ? Quel mouvement n'a pas ses meneurs ?), si on a déjà un outil existant il est tentant d'aller voir les utilisateurs pour leur demander ce qu'ils en pensent et comment l'améliorer. Simplement attention dans ce cas à garder à l'esprit cette citation attribuée à Henry Ford : "Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils m’auraient répondu des chevaux plus rapides". Car votre communauté, pleine de bonne volonté, essaie 1. de rester dans le sujet et donc si on leur montre un webzine, ils vont rester dans le cadre webzine 2. de vous faire "plaisir" en cherchant "la bonne réponse" et donc proposer des améliorations en incrément de l'existant. Ils vous disent "il faudrait plus de personnalisation". Ils pensent en fait : "Si il fallait rester dans le format webzine et faire un meilleur webzine, il faudrait plus de personnalisation". Et ils oublient de vous dire "De toute façon même une fois bien personnalisé, j'admettrai que c'est un bon webzine, mais je ne le lirai pas plus pour autant..." Certains promettent pourtant, très sincèrement sur le coup, qu'ils le liront ... ils auront beau jeu plus tard de dire que ce n'est pas encore assez bien personnalisé. Moi qui n'aime pas la télé, montrez moi une émission je peux vous suggérer plein d'idées pour l'améliorer : je ne regarderai pas plus la télé pour autant.

J'ai ressenti une certaine frustration face à mon incapacité à vous projeter dans un futur qui vous séduise. C'est malheureusement un travers typique des appels d'offres en aveugle. Le manque d'intimité avec votre projet ne nous permet pas de vous proposer en confiance une solution qui va créer l'engagement que vous recherchez dans votre communauté. Vous nous demandez si on sait faire de la plomberie, on vous a répondu que oui. Mais si vous vouliez une idée de design pour votre cuisine, il fallait nous inviter chez vous ! Car il nous faut voir les dimensions, les entrées de lumière, la circulation, l'agencement des pièces autour...

Par exemple, voici en vrac quelques idées d'apps toutes simples de vous pourriez proposer à votre communauté pour en renforcer la cohésion :

  1. "Joyeux anniversaire !" : une app qui aide chacun à se souvenir de qui c'est l'anniversaire aujourd'hui, et, en fonction de ma proximité avec cette personne, je me vois proposer un choix d'engagement possible allant de "passer outre" à "prendre rendez-vous" en passant par "laisser un petit message" et "envoyer un like".
  2. "Je suis dans ta ville" : quand je voyage disons à Pékin, l'app le détecte par géolocalisation, et me propose d'envoyer une notification à tout ou partie des membres de la communauté déjà basés à Pékin.
  3. "Causons entre nous" : une application de chat propriétaire pour la communauté, dans laquelle ils se sentiront plus en intimité qu'avec les outils publics à la confidentialité douteuse. Tous les profils sont authentifiés, pas d'anonymat. Le contrôle de la plateforme permet d'intégrer des fonctions avancées (par exemple créer des cagnottes pour se cotiser à cadeau commun..)
  4. "Le Majordome" : un "bot" avec lequel les membres de la communauté peuvent interagir en langage semi-naturel, via une plateforme de chat (potentiellement celle du point 3 mais pas forcément : il peut être présent sur plusieurs canaux). Il peut alors offrir des services de mise de relation, de recherche dans l'annuaire de la communauté, voire des services plus complexes de type conciergerie, avec au besoin une assistance par un opérateur humain.
La liste est loin d'être exhaustive... échange de bons plans, petites annonces, entraide... pour trouver les 2-3 services qu'il faut lancer en premier, il faut une connaissance de votre communauté dont je ne saurais me prévaloir. Et à ce titre, il faut prendre ces idées pour ce qu'elles sont : des exemples. Il faut remarquer également que l'appétence pour la plupart de ces idées peut très bien se tester sans écrire une seule ligne de code, en opérant le service à la main, à petite échelle, pour voir.

En guise de conclusion je citerais un penseur canadien, Cory Doctorow : "Content isn’t king. If I sent you to a desert island and gave you the choice of taking your friends or your movies, you would choose your friends…. If you chose your movies, we would call you a sociopath. Conversation is King, content is just something to talk about". Le contenu qui va fidéliser vos utilisateurs, c'est le contenu qui va leur fournir l'occasion de créer ou d'améliorer leurs connections à d'autres personnes physiques, en chair et en os, dans ou près de votre communauté, car il leur permet d'exprimer qui ils sont, ce qu'ils pensent, ou ce qu'ils aiment.


Et pour continuer la conversation, voici quelques articles récents pertinents dans ce contexte :

jeudi 19 novembre 2015

Les bobos du canal

[NdDuc : J'ai à mon tour demandé à Philippe la permission de partager le texte de sa belle-fille Madeleine. Merci.]

Pierre, mon fils, Madeleine et leur deux filles habitent rue Beaurepaire, dans ce quartier vivant et coloré qui a été ensanglanté vendredi, alors que certains se souhaitaient Shabbat Shalom. Ils vivent en ce moment à Houston, Texas, d'où Madeleine nous a envoyé ce texte qui reflète leur désarroi, et le nôtre, la génération de leurs parents. Un texte sensible, fort et sobre, comme j'en ai peu lus après les massacres. Elle m'a autorisé à partager. 

"Cette fois c’était pour nous. Les bobos du canal.

Des gentils, les bobos, qui feraient pas de mal à une mouche. Z’ont même pas fait le service militaire, se sont jamais battu contre personne depuis le collège. Ils élèvent la voix quand ils s’engueulent dans les dîners, mais bon. Des journalistes, des sages-femmes, des musiciens, des graphistes, des chercheurs, des profs, des médecins, des serveurs de resto, des publicitaires, des travailleurs sociaux, des avocats, des artistes, des autoentrepreneurs sur le fil. Des financiers pleins de fric, mais tellement sympas. Des riches et des moins riches. Des de toutes les couleurs, souvent athées, mais pas que. Des mélangés. D’extrême gauche, pas beaucoup, de gauche plutôt, de droite, discrètement.

Y en a beaucoup parmi nous qui ne savent pas en quoi croire ; on nous a appris que ce qui compte c’est de comprendre. Alors on a un avis sur tout. On s’est renseigné, on a lu les bons articles, on écoute la radio, les blogs qui vont bien. On sait, on a une théorie. On a un esprit critique. On se laisse pas comme ça mener par le bout du nez, nous. Non, on est conscients, on est informés. On connaissait Trevidic avant tout le monde.

Mais ça n’empêche pas d’être victime. Et là on sait plus quoi faire. Le rapport qu’on a au combat, nous, c’est celui de l’histoire. De l’observation. On sait qu’il faut chercher les racines, on sait que c’est plus compliqué que ça.

On est une génération de principes. On a défilé mille fois contre le FN, contre le SIDA, contre les attentats, pour l’école publique, la santé pour tous, la liberté, la laïcité, la tolérance. Et après ? 

On est aussi la génération de l’impuissance et du vote utile.

A quoi croyons-nous ? En notre liberté, en notre insouciance. En la tolérance. En l’amour de l’autre, quel qu’il soit, même du petit con fanatique qui lit des horreurs sur internet et qui les croit. On est pacifistes. On veut garder le droit de faire des blagues pourries parce que c’est drôle. On veut pas d’un état policier. On veut pas parquer les islamistes radicaux dans des camps. On veut pas faire la guerre.

Mais en face, ils tuent. Et il nous faut le bruit des bombes pour se rendre compte qu’on ne sait pas se défendre. Que c’est même toute l’idée. C’est la République qui nous protège, pas besoin de se salir les mains. Mais qui la fait, la République ? Est-ce qu’ils y croient vraiment, ceux de nos copains qui font de la politique dans les grands partis ?

Alors, oui, il faut plus d’école, plus de justice, plus de république, plus de démocratie, moins d’armes, plus de moyens dans les prisons, pour s’attaquer au cœur du problème, mais on fait comment face à des types avec des Kalachnikov, là, maintenant ?

Et on va voter pour qui quand il faudra retourner voter ? Contre le FN, ça c'est sûr, on le fait depuis dix ans. Mais on va voter pour qui ?

J’ai même pas pu chanter la Marseillaise hier. C’est pas l’envie qui m’en manquait, sur le plan symbolique, j’avais un drapeau à la main, et la larme à l’œil, j’étais prête. Mais chanter « qu’un sang impur abreuve nos sillons » ? Je suis pas prête pour ça. On n’a pas joué aux soldats de plomb quand on était petits. On n’a pas regardé de défilés. Nos parents, ils nous ont fait écouter Le Déserteur, et Brassens, et Renaud. Et Brel qui gueulait Au suivant. La musique qui marche au pas, cela ne nous regarde pas. Je ne me reconnais pas dans cet hymne guerrier. Je n’ai jamais voulu voir tout ça.

Alors je pleure mes illusions perdues, je me demande que dire à mes enfants, et à quelle République croire pour les cinquante prochaines années. Pour qu’au moins si on envoie des obus et des blindés quelque part, on soit fiers de ce qu’on défend. Pour défendre un projet, et pas juste le statu quo. Parce que le statu quo il nous convient à nous, mais il ne tient plus debout.

Qui va réécrire la Marseillaise ? Qui va prendre la parole pour fédérer les gens qui comprennent plein de choses mais qui ne croient plus à rien ? Qui va nous forcer à nous bouger pour une politique d’aujourd’hui ? Qui va permettre aux musulmans de France d’exister dans le monde politique ? Qui va s’occuper des enfants de la République ? Et qui va prendre toutes ces décisions de fermeté contre les racines de tout ça ? Il paraît que c’est le pétrole le nerf de la guerre, l’argent des banques, et de l’armement. L’ennemi, c’est la finance, qu’y disait… Mais pour qui bossent les plus malins de ceux qui sortent des grands écoles françaises ?

Comment peut-on changer tout ça si on veut que rien ne change ?

Je suis la première empêtrée dans toutes mes contradictions.

Je crois de tout mon cœur - je sais - que les hommes sont faits pour s’aimer et se parler, pour se faire beaux et être fiers, pour vivre ensemble la tête haute, et essayer de construire quelque chose de meilleur. Mais ils font aussi la guerre depuis la nuit des temps pour défendre leurs intérêts, et c’est vite parti, à l’intérieur d’un pays comme à l’extérieur, surtout que chacun maintenant va vouloir se défendre. On a juste refusé de voir ça.

Maintenant que le mot est sur toutes les bouches, il est temps qu’on s’écoute et qu’on s’aide pour éviter le carnage. Il faut écouter ce que disent les gens qui ne votent plus, ou qui votent pour le FN, ce que disent les musulmans en France qui se sentent maltraités et se replient sur eux-mêmes, ce que disent les nouveaux arrivants qui ne comprennent pas la laïcité. Il ne suffit pas de leur dire en leur tapant sur l’épaule qu’ils se trompent sur les conclusions, que la France c’est pas ça, ou de trouver un autre ouvrier, un autre arabe, qui, lui, pense comme il faut, pour annuler leurs propos.

J’espère, j’espère trouver quelque chose de concret en quoi croire pour construire mon pays. Je suis désespérée de constater à quel point je ne sais pas le proposer moi-même. Mais c’est dans nos mains, quelque part, non ?"

Madeleine Cavet Blanchard

vendredi 13 novembre 2015

L'Uberisation expliquée à mon chef

Un même système, obéissant aux mêmes lois, peut se comporter très différemment en fonction de l'échelle, car des phénomènes qui étaient auparavant masqués ne deviennent plus négligeables. Prenez de l'eau par exemple, dans un verre. La surface est lisse et plate. Pourtant, si vous en faites tomber une goutte sur la table, vous la verrez ronde et rebondie. L'univers n'a bien entendu pas changé entre temps, les lois de la physiques sont les mêmes. Simplement, cette incohérence s'explique par des forces capillaires qui empêchent la goutte de s'étaler complètement. Il en va de même pour l'économie.
Nous avons tous appris à jouer au marchand ou à la marchande étant petit. Une fois qu'on a compris le principe de l'argent, le fonctionnement du système économique traditionnel est très simple : il faut vendre des choses plus cher qu'elles ne nous coûtent, la différence entre les deux étant la valeur ajoutée que l'on a créée par son travail. Par exemple, j'achète un livre 5€, je le revends 8€, je fais 3€ de marge.
On étend facilement le concept à la notion de service. Par exemple je te présente un client, tu fais une vente grâce à moi, tu me donnes 1€ en échange, il te reste 2€ de marge. Ce service que je te rends a de la valeur pour toi, tu n'aurais pas pu trouver ce client tout seul, car c'est compliqué de trouver un client, ça prend du temps, il faut prospecter, négocier, bref échanger des informations et les traiter. C'est ce qu'on appelle le coût de transaction. Et c'est précisément ce qui est en train de chuter vertigineusement avec le développement du numérique.


Lorsque le coût de transaction s'effondre, avec les mêmes règles du marché, nous voyons apparaitre des phénomènes nouveaux entrer dans la danse. Nous voyons les flux non marchands (Connaissance, Confiance et Sentiment) devenir non-négligeables, grâce à la fluidité des échanges et la permanence de la donnée enregistrée. Voyons donc comment fonctionne ce phénomène qu'on appelle "uberisation" :

1. Tout d'abord, il vous faut une "Killer app"
C'est à dire un produit ou service que vous vendez pour quasiment rien, et que tout le monde s'arrache comme des petit pains. Par exemple Amazon vends ses livres à pertes, Google offre son service de recherche gratuitement, Apple a démarré en vendant des chansons à 1$. Pour Uber, le service de transport de personnes en intramuros est la killer app (eh oui, ce n'est que le début..).

2. Puis vous forgez une Alliance
Une fois que vous avez récolté ces millions, ces centaines de millions de Clients, vous leur proposez de sceller une alliance, c'est à dire un contrat de confiance réciproque. Collectivement, tous ces clients forment une Multitude, et vous, vous êtes devenu une Plateforme.

Voici les termes de l'alliance :
- Vous allez travailler pour moi, sans compensation financière
Sur Amazon on note les livre, sur Uber les chauffeurs. Mais parfois c'est implicite : même si vous n'écrivez pas de revue sur les livres, en observant votre comportement, votre panier, et votre liste de voeux, Amazon peut d'ores et déjà collecter énormément de choses sans que vous ayez aucunement le sentiment de travailler. Le temps que vous consacrez sur le site est pour votre bon plaisir. De même, le cas Google est intéressant : quand vous cliquez sur la troisième réponse de la page de résultat, vous informez implicitement Google que c'est la meilleure réponse pour vous, et toutes les personnes qui vous ressemblent auront alors ce lien-là en premier sur leur page de résultats.
- Vous allez me donner des informations personnelles
Tout votre comportement comme vu ci-dessus, mais aussi numéro de carte bancaire, civilité, informations familiales... tout est bon à prendre. Moins l'information est connue publiquement, plus elle aura de valeur. Apple a dépassé le milliard de numéros de cartes bancaires confiées avec autorisation de prélèvement.
- En échange je vous procure du confort, un meilleure qualité de vie. Faites-moi confiance. Je saurai vous trouver ce dont vous avez besoin. La voiture Uber sera toujours là sans attente, avec la petite bouteille d'eau, etc.


A noter que dans cette alliance, il n'y a pas de clause pécuniaire. Moi, plateforme, comme je vends ma killer app sans marge, je dois me débrouiller autrement pour gagner de l'argent, en monétisant toutes les informations personnelles collectées.
C'est évidemment très traumatisant pour les acteurs de l'économie traditionnelle, qui eux comptent sur la marge pour vivre.


3. Monétisation
Pour gagner sa vie, la Plateforme monnaye la confiance que la Multitude lui a accordée, qui est son bien le plus précieux. Elle va pour cela proposer à des tierces parties de vendre des choses à sa Multitude. Ces tiers ne sont pas des clients de la Plateforme, ni des fournisseurs. On les appelle des Sur-traitants. Chez Uber, les Surtraitants sont les chauffeurs. Chez Amazon, les boutiques en ligne qui utilisent la plateforme Amazon pour vendre leurs produits (les 2/3 des ventes faites sur Amazon ne sont pas faites par Amazon mais par un marchand en ligne qui utilise la Plateforme comme vitrine). Chez Apple, les Surtraitants font des applications qui sont vendues dans le iTunes Store.
La Plateforme ne choisit pas les Surtraitants, c'est eux qui décident, attirés par le potentiel de la Multitude, de la rejoindre. Par contre, la Plateforme se devant de protéger la confiance dont elle est dépositaire, elle fixe des règles du jeu assez strictes vis à vis de ses Surtraitants. Les règles bien respectées, tout le monde peut venir ! La Plateforme prend alors une commission sur les transactions entre les individus de la Multitude, et les Surtraitants. Les cas Uber Amazon Apple sont assez évidents. Pour Google c'est moins net car il y a un intermédiaire : les gens qui veulent que vous veniez visiter leur site (parce qu'ils ont un fer à repasser à vous vendre). Ceux-là payent à votre place, anticipant sur le bénéfice qu'ils feront en vous vendant le fer à repasser. Les Surtraitants sont tous les sites dont Google gère la publicité au travers du programme Adsense, et parmi lesquels Google Search n'est qu'un cas particulier.

6. Les rendements croissants
Une particularité du fonctionnement des Plateformes c'est que plus elles sont grosses, plus elles sont efficaces dans leur travail. Car pour faire la mise en relation Multitude <=> Surtraitant, d'une part plus ils sont nombreux et diversifiés, plus on a de chance de trouver un mariage, et d'autres part pour faire tourner des algorithmes d'apprentissage (de prédiction de demande par exemple), il faut du volume pour s'optimiser progressivement. Exactement comme votre filtre antispam arrive à trouver les mails qui vous intéressent, mais fait quelques erreurs de temps à autre. Ce sont des algorithmes statistiques, ils ne font que calculer des probabilités.
Du coup, le milieu des investisseurs est de plus en plus attentif à votre taille et à la croissance de votre activité (votre "traction" ), car inéluctablement, le plus gros étant le plus rapide, il ne fait que creuser son avance continûment, et s'établit in fine comme un monopole naturel de son marché.


7. La souveraineté des nations à l'ère numérique
Comme tout monopole, la plateforme peut alors dicter ses règles au marché (pas de frais de port pour les livres, bouteille d'eau obligatoire offerte dans les taxis, ...), et ce à l'échelle quasi-mondiale (hors Chine qui a ses propres Plateformes, et Corée du Nord qui n'a pas internet). Et ce, faisant fi des lois nationales : avec Amazon on peut acheter des souvenirs du 3ème Reich en France (ce qui est illégal) par exemple. Ce phénomène est d'autant plus inquiétant que les plateformes sont toutes à ce jour issues ou rachetées par des individus vivant dans la région de San Francisco, qui ne rendent que des comptes très limités à leurs actionnaires. Même le gouvernement américain et son régulateur ne sont pas en position de force face à eux. 
Lire à ce propos l'excellent article de Nicolas Colin sur Silicon Valley Politics.
8. Impact sur la vie privée
Comme nous l’avons vu, les Plateformes vivent d’un flux financier qui se crée grâce à un écart : celui entre la quantité de connaissance dont elles disposent sur nous, par rapport à ce qui est du domaine public (qu’on trouve en vous cherchant sur Google). Il faut qu’elles profitent de cet écart sans toutefois en abuser car trop en montrer pourrait être vécu comme une trahison par la Multitude. De plus, notre société allant vers de plus en plus de transparence, le niveau de connaissance disponible publiquement ne fait qu’augmenter. En conséquence, pour ne pas voir tarir leur source les Plateformes se doivent de pousser toujours plus loin la collecte de données personnelles, pour maintenir l’écart à un niveau suffisant pour pouvoir le monnayer.
Une manière simple de contrer le développement de ces monopoles serait de mettre toutes ses données personnelles en libre accès, mais bien entendu ce principe se heurte à notre besoin d’intimité.


9. Régulation à l'ère numérique
Des industries à rendements croissants, qui génèrent donc des monopoles naturels, cela existe depuis bien longtemps, ce sont les secteurs dits "à effet réseau" : telecom, distribution d'énergie, poste... On a su s'en accommoder soit en les nationalisant, soit par une forte régulation. Le défi auquel nous faisons face à l'ère numérique est que toutes les filières, à mesure qu'elles se transforment deviennent à "effet réseau"... La nationalisation massive n'étant pas une option en économie de marché, il reste le défi de la régulation qui doit se faire non plus à l'échelle du pays, mais à l'échelle de l'internet cad monde sauf Chine.


Retrouvez tous ces concepts et bien d'autres encore dans leur oeuvre originelle : "L'âge de la multitude" par Henri Verdier et Nicolas Colin.