J'invite en préambule ceux qui n'ont pas suivi ce qu'il se passe entre la G7 et les VTC à lire l'excellent billet écrit en octobre dernier par Nicolas Colin : Les Fossoyeurs de l'Innovation.
Ça fait quelques semaines que le problème me trotte dans la tête, car un tel niveau d'absurdité est difficile à admettre : ces voitures premium, qui coûtent plus cher mais viennent renforcer la masse de véhicules disponibles aux heures de pénurie, vont-elles vraiment voler leurs emplois aux bons chauffeurs de taxis parisiens ? C'est tout de même peu crédible.
En réalité, je pense que c'est l'attractivité même de bosser pour G7 et consors qui est menacée par les VTC.
La licence de taxi a bien longtemps été un outil d'ascension sociale, grâce auquel en travaillant bien, on atteignait un bon niveau de revenus. Cela fait des années que les grandes centrales de taxi ont vidé la licence de ce rôle, et dépouillent les artisans, captant l'intégralité de la valeur ajoutée. Car aujourd'hui, les taxis qui ne sont pas propriétaires de leur licence, sont obligés de la louer extrêmement cher, et perdent quasiment tout espoir de s'enrichir.
Alors quand des sociétés VTC leur donnent la possibilité de venir travailler dans de meilleures conditions, en étant maîtres de leurs horaires, et en gagnant plus d'argent, cela représente une menace. Ce qui est menacé, ce n'est pas tant la valeur des licences des artisans qui les possèdent, mais la rentabilité de celles de MM. Rousselet et Metz. Quelle ironie (!) lorsque ce dernier déclare les compagnies VTC de "créer des emplois fragiles d'auto-entrepreneurs", alors que ce sont leurs propres manoeuvres politiciennes qui ont créé la précarité, remettant en cause les business models propres et transparents de ces sociétés qui agissaient en pleine légalité !
L'autre menace de perte sèche qui plane sur la G7, concerne son service de "
voitures VIP avec chauffeur", (ben oui, il y a des lingettes et bouteilles d'eau, s'il vous plait!). Ce service facturé bien cher n'offre pas grand chose par rapport à une offre VTC, surtout si ces derniers venaient à se développer plus.
Mais comment ont-ils convaincu les politiques ?
Là je ne vais pas prétendre savoir qui a murmuré quoi à l'oreille de qui ! Mais je refuse de croire que suffisamment de politiques se font graisser la patte pour passer ou laisser passer un décret tueur d'innovation... donc au lieu de crier "tous pourris!", je m'aventure à crier "tous crédules !"
Car, quand il s'agit de pitcher l'idée aux politiques, ça m'étonnerait que M. Rousselet dise "mes licences ne me serviront plus à rien, les benêts à qui je les loue vont tous reprendre leur indépendance et partir gagner plus d'argent, et mes voitures avec chauffeur surfacturées je ne vais pas trop savoir quoi en faire non plus". Je pense plutôt qu'il tient le même discours qu'à la presse, expliquant qu'il est le fer de lance de l'innovation française, si-si-crois-moi-la-preuve-j'ai-des-GPS-dans-les-voitures. Mais ce discours, il le tient à des amis, et peut-être des amis de son père, qui ne comprennent pas grand chose à l'innovation, à ses processus, et sont très impressionnés lorsqu'on leur montre une application sur un iPhone.
Car pas idiots, les grands pensent à leur avenir ! Ils copient tous les trucs du moment. Des applis de réservation de G7 (pas moins de 3 sur iPhone,
ici,
là, et
là pour les abonnés) en passant par des services comme
weCab ou
eCab, il n'y a rien d'original, rien de novateur.
Moi je préfère penser que c'est en toute bonne foi et surtout en confiance, que nos hommes politiques votent des lois ineptes et passent des décrets de la même qualité. J'espère qu'on en trouvera suffisamment d'intelligents pour leur dire de changer de conseillers.
Et l'avenir, il ressemble à quoi, alors ?
Mais ce qui compte le plus, c'est le problème de fond : si Rousselet l'emporte, ça ne sera pas Über le perdant ! Über est dans 26 pays, 68 villes, et se porte extrêmement bien. Ceux qui perdront, ce sont ces dizaines d'entrepreneurs du numérique qui ont fait le choix d'innover, de tenter des business models apparemment similaires pour un Rousselet ou un Valls, mais finalement tous un peu différents, s'adressant à des tribus distinctes, et tous avec une chance de créer une alternative française aux puissantes machines américaines.
Que faudra-t-il pour que nos politiques comprennent l'ampleur de la révolution numérique et s'initient aux vrais mécanismes en action et leurs enjeux ? pour qu'ils préparent l'avenir de notre pays en s'inscrivant dans le temps au lieu de planifier la prochaine élection, le prochain tweet ?
Le problème, c'est qu'ils ne comprennent pas.
Au 19ème siècle, les usines fonctionnaient avec de grosses machines à vapeur, dites "stationnaires", qui entraînaient de complexes systèmes de courroies et engrenages, souvent dangereux, et mécaniquement peu efficaces. Lorsqu'on a commencé à leur substituer des moteurs électriques (plus d'un demi siècle après leur invention), on s'est contenté de remplacer la vieille machine par une nouvelle, et ça a pris plusieurs dizaines d'années avant que les ingénieurs ne décident qu'on pouvait changer tout le design d'une usine, et placer plusieurs moteurs électriques dans chaque bâtiment, au lieu d'un énorme à l'extérieur.
Beaucoup de nos décideurs d'hier raisonnent ainsi. Ils pensent comprendre la puissance d'internet, et en font (enfin) la promotion : "prenons nos structures actuelles, et ajoutons leurs internet !"
- Prenons les radio-taxis, et ajoutons leur internet !
- Prenons nos compteurs à gaz, et ajoutons leur internet !
- Prenons notre enseignement supérieur, et ajoutons y internet !
- Prenons nos lecteurs de CDs et ajoutons... oops !
Eh oui, pour la musique ça a été trop vite, et ça ne se passe pas vraiment comme ça. Eh bien ce qu'Über a montré au monde, ça n'est pas internet dans les taxis! C'est une révolution de la relation au transport. Au transport de personnes comme au transport de biens. Tout comme pour un problème de mathématiques, la démonstration qu'ils ont faite, on ne peut pas la nier, et des gens dans le monde vont s'en servir pour résoudre le problème suivant, tandis qu'on interdit à nos chercheurs de l'étudier.
Aurons-nous encore des codeurs, des hackers, des inventeurs, lorsque nos grands patrons et ministres actuels seront partis à la retraite ?