Le groupe de presse Axel Springer a récemment investi dans le moteur de recherche français Qwant... à condition que ce dernier s'engage à continuer de défendre la vie privée de ses utilisateurs. S'il s'agit avant tout un coup marketing de la part de son patron Mathias Döpfner, qui a déjà exprimé son impuissance face à Google, il faut quand même noter que le thème des libertés individuelles revient de plus en plus fréquemment chez les démunis du numérique.
J'assistais d'ailleurs récemment à une conférence "Web we want - De la souveraineté numérique"
sous-titrée "comment protéger nos libertés fondamentales dans la société connectée ?"
Après une très bonne intervention de Nicolas Colin en introduction ("La souveraineté numérique c'est un enjeu de guerre économique : est-ce que nous allons rester parmi les pays les plus développés du monde ?"), la conversation s'est malheureusement enlisée, cristallisée autours de lieux communs sur le droit à l'oubli ou les "révélations Snowden".
A la fin, on n'y parlait plus que de la protection des citoyens Européens face aux grandes oreilles de la NSA.
J'assistais d'ailleurs récemment à une conférence "Web we want - De la souveraineté numérique"
sous-titrée "comment protéger nos libertés fondamentales dans la société connectée ?"
Après une très bonne intervention de Nicolas Colin en introduction ("La souveraineté numérique c'est un enjeu de guerre économique : est-ce que nous allons rester parmi les pays les plus développés du monde ?"), la conversation s'est malheureusement enlisée, cristallisée autours de lieux communs sur le droit à l'oubli ou les "révélations Snowden".
A la fin, on n'y parlait plus que de la protection des citoyens Européens face aux grandes oreilles de la NSA.
Dès qu'on parle de souveraineté, les gens sautent sur des notions de blocage et de défense, au lieu de se demander si nos règles d'hier seront toujours d'actualité demain.
Car il ne faut pas oublier où naît la souveraineté. En nous constituant en nations, nous abandonnons tous une partie de nos libertés individuelles (p.ex. circuler absolument n'importe où, jeter nos déchets où bon nous semble ou chanter très fort toute la nuit) au profit d'une sécurité, d'une productivité et d'une prédictibilité accrues. En acceptant de rouler sur le côté droit de la route, et confiant que les individus qui arrivent en face seront rangés de l'autre côté de la même route, je peux rouler nettement plus vite.
Notre souveraineté c'est surtout ce que notre nation, via nos instances représentatives, fait de ces libertés fondamentales cédées ou mutualisées (devenues lois ou règles de vie), et les moyens qu'elle met en oeuvre pour les protéger. Les choix sociaux-culturels qui en découlent sont profondément différents d'un groupe à l'autre. Certaines nations pensent que la protection des individus passe par l'autorisation pour tous de porter ou posséder des armes à feu, tandis que d'autres les réservent aux policiers, que d'autres encore ne muniront que de bâtons, afin de réserver les armes létales à l'armée ou à des unités de police spécialisées.
GAFA Game of Thrones, (c) David Parkins / The Economist |
Trop d'individus n'ont pas conscience de ce mécanisme... d'où la montée en puissance des géants du Net. Car de la même façon, en leur confiant nos photos, nos goûts, nos données personnelles, pour qu'ils les transmettent à ceux qu'on aime, nous aident à mieux acheter pour moins cher, organiser notre prochain voyage... c'est une partie de nos libertés fondamentales que nous leur cédons. C'est en fait un nouveau pacte que nous nouons avec ces acteurs, leur donnant de facto un pouvoir et des responsabilités énormes. On légitime ainsi une forme de souveraineté trans-nationale. Mais le souci, c'est que la loi de marché à laquelle ces acteurs économiques sont soumis, ça n'est pas la démocratie ! Le code (code is law!) généré par ces monstres du numérique ne passe pas par des chambres législatives élues par leurs utilisateurs.
Le Pacte de 1978 est obsolète !
Le vote, en 1978, de la loi informatique et liberté, équilibrait deux éléments clés : d'une part les moyens de stockage et de traitement de données de l'époque (et leur évolution prévue) et d'autre part les mœurs et la culture d'une société qui avait mesuré les errements possibles liés à la constitution de fichiers concentrés entre les mains d'un nombre restreint d'individus sans être assortis de mécanismes de régulation.Il me semble évident que ces mœurs ont évolué, et que pour bénéficier de certains services, nous sommes aujourd'hui prêts à communiquer des informations que nous n'aurions jamais accepté de lâcher il y a 35 ans. Or à quelques ajustements près, la CNIL continue de se baser sur le contrat social de cette époque, et essaye de préserver les libertés individuelles des citoyens Français sur une base proche du "pacte" de 1978.
dessin (c) 1997 Charles Schulz / parodie: inconnu |
En un sens, c'est avant tout l'innovation en France (et en Europe) qui en souffre, car dans un marché mondialisé, nous ne pouvons pas jouer à armes égales avec nos concurrents étrangers.
Si j'étais - à moi tout seul - la CNIL, je mettrais en place un moratoire : j'abaisserais les exigences des startups et projets innovants en matière de vie privée au même niveau que les entreprises américaines, pour leur permettre d'innover et capter de la valeur. Des discussions européennes ou mondiales finiront bien par converger vers de nouvelles règles - qui distingueront probablement la territorialité de la société (siège social) de ses serveurs (lieu physique de stockage et traitement) de celle de ses usagers. Il sera alors temps d'y soumettre simultanément tous les acteurs, nationaux et extra-territoriaux.
Au moins, cela nous permettrait dès à présent de jouer "à armes égales" à l'échelle mondiale.
Mais je ne suis pas la CNIL, et je crois que la meilleure option pour beaucoup d'innovateurs et startupers qui veulent s'attaquer au marché mondial reste pour l'instant de partir s'installer à l'étranger :'(
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