En mars dernier, Duc Ha Duong et moi donnions une interview pour sncf.com, concernant l'usage de Twitter et des réseaux sociaux dans les grandes entreprises. Elle faisait suite à la réalisation que Bénédicte Tilloy, directrice générale du Transilien, est une véritable patronne 2.0 qui ne se l'avouait pas encore. C'est avec beaucoup de plaisir et de fascination que nous avons découvert cette perle rare qui a entrepris il y a déjà un moment d'équiper tous ses agents de smartphones, et s'est mise à échanger directement sur Twitter avec le public, ses agents, et les usagers.
En voici la retranscription.
Sncf.com : Pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?
DHD & YZ : Formés à l’excellence de l’ingénierie française traditionnelle, nous avons pris conscience au travers de nos expériences entrepreneuriales respectives de l’ampleur des enjeux sociétaux auxquels la France fait face. Depuis, alarmés de voir notre économie nationale rater le virage du numérique, nous militons au sein du mouvement des Barbares pour accompagner l’Etat et les grandes entreprises françaises comme GDF Suez ou Orange face à cette “disruption”. Nous tenons un blog, l’Avenir Appartient, dans lequel nous partageons nos expériences.
Sncf.com : En tant qu’auteurs, et spécialistes des nouvelles technologies, quel est votre avis sur l’utilisation de Twitter par les dirigeants des grandes entreprises, en France ?
DHD & YZ : Nous regrettons bien entendu que les patrons français ne soient pas assez engagés sur Twitter ; non seulement eux mais également tout le management intermédiaire qui a tendance à s’autocensurer. Nous pensons que cette situation vient de deux malentendus à dissiper. D’une part Twitter est souvent vu comme un nouvel outil de mass-média traditionnel : des messages formatés, planifiés, préparés par un service de communication, de diffusion massive. Or Twitter est mieux décrit comme une “conversation globale”. Il faut s’imaginer à table avec des amis : vous exprimez une opinion à la cantonade, et parmi ceux qui décident de vous écouter, si l’un répond, vous le regardez et vous tournez vers lui pour continuer, tout en étant conscient que les autres sont toujours là, à écouter. D’autre part, les patrons imaginent que s’ils s’y mettent eux-mêmes, ils seront immédiatement noyés sous un flux ingérable de sollicitations, puisque n’importe qui peut les apostropher directement. Or l’expérience démontre que ce n’est pas le cas ; il suffit d’observer le flux d’une personnalité comme Fleur Pellerin pour s’en convaincre.
Sncf.com : Bénédicte Tilloy, la directrice de Transilien, utilise, elle, beaucoup Twitter. Quel regard portez-vous sur l’utilisation qu’elle fait de Twitter ?
DHD : On observe deux flux. A court terme, elle échange en temps réel (infos incidents, évènements exceptionnels, humeurs et idées des usagers et des agents). Les interactions de ce genre, en se développant, devraient se distribuer parmi le personnel et les partenaires de la SNCF, à mesure qu’ils adoptent Twitter. Le conducteur du train est bien mieux placé qu’elle pour annoncer qu’il y a un rail cassé ! En parallèle, il y a des échanges plus transverses : mise en avant des causes et missions de la SNCF, aussi bien envers les usagers qu’envers ses agents, et transmission de pratiques et savoirs.
YZ : Mais surtout, l’accumulation de toutes ces courtes expressions, dans un langage concis, dessine en filigrane le visage humain, le cœur, les pensées et l’identité de l’auteur. Derrière les données factuelles, c’est l’humain qui transparaît, et ce qu’elle communique, c’est aussi de la confiance, des sentiments, un compréhension des causes auxquelles elle est attachée. Il s’en dégage une image “vraie”, c’est-à-dire non manipulée par une réflexion consciente préalable, qui nous rassure sur l’authenticité de son discours. C’est extrêmement difficile de maintenir, sur la durée, une fausse image de soi sur Twitter. Ce dernier élément est crucial car c’est lui qui redonne de l’humanité dans les interactions entres individus, et ceci pas seulement sur Twitter !
Sncf.com : Le 5 février, elle a diffusé le message suivant : « J’encourage tous les agents Transilien à ouvrir un compte Twitter pour partager info avec voyageurs ». Qu’en pensez-vous ?
YZ : Elle fait son job. C'est dans la mission des cadres dirigeants de voir les changements venir (technologique, sociétaux) et d'accompagner leur organisation dans ce sens. Si la taylorisation de notre économie a créé un rôle de conducteur du train anonyme remplissant une fonction déshumanisée, dans quelques années ça sera le contraire: avec un monde plus transparent et une information qui circule quasiment sans frottement, le public sera outré par l'indifférence d'un conducteur qui, dans sa mission de transporter de milliers de personnes à l’heure et en sécurité, n'échangerait pas avec eux en cas de besoin. Ce que l’on pardonnait hier car la technologie était limitée, on ne l’accepte encore aujourd’hui que parce que les mœurs mettent du temps à s’adapter. Mais une fois cette mutation achevée, les générations futures se demanderont comment il a pu enYZ : être autrement !
DHD : A y regarder de plus près, ce que fait Bénédicte Tilloy c’est donner la permission à des gens qui l’avaient déjà… mais ne le avaient pas ! Utiliser Twitter n’a jamais été interdit, ça n’existait simplement pas. Les conducteurs ont enfin la possibilité technique de parler en direct aux gens à quai, ou ailleurs, et plus seulement dans les rames. A eux de la prendre, cette permission, d’oser affirmer leur identité, mettre visage humain derrière le rôle fonctionnel, et inventer les coutumes de demain.
Sncf.com : Elle se dit convaincue par le fait qu’agents Transilien et clients peuvent se parler et échanger directement. C’est une position inédite, non ? C’est à encourager ?
DHD : Une position inédite, absolument pas. Une position inédite dans une grande entreprise française, certainement ! C’est difficile pour les décideurs de quitter un modèle qui a fait ses preuves pendant tant de décennies, mais c’est pourtant indispensable. Posons-nous la question dans l’autre sens : pourquoi ne pourraient-ils pas se parler ? Techniquement, d’être humain à être humain, on le peut toujours. Ce qui nous choque dans cette proposition, c’est l’idée d’évoquer l’agent Transilien comme un être humain. N’est-ce pas l’inverse qui devrait nous choquer ? Las, l’organisation scientifique du travail pour laquelle nous avons été éduqués depuis notre première jeunesse nous a inculqué l’art de se comporter au travail, de manière soi-disant “professionnelle”, c’est à dire dépassionnée, prévisible, et indifférenciable du travail d’un autre.
YZ : Aujourd’hui, on ne veut plus d’un spot TV ou d'un SMS automatique qui nous explique qu'un technicien anonyme répare un défaut sur une voie. On veut une personne, on veut un être humain qui nous comprend, qui pense à nous et nous le dit dans ses mots. Et s’il est maladroit, tant mieux, au moins ça n’est pas de la langue de bois, ça n’est pas une machine. Ça porte un nom récent, anglicisé, mais c’est vieux comme le monde: après le B2B et le B2C, on revient aux fondamentaux, le H2H, Human to Human*
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